Passages

 

 

 

 

 

 

S'il peut d'abord sembler relativement aisé de passer mentalement d'espaces en espaces comme Duchamp a pu et a dû le faire, ce n'est pourtant le cas que pour autant que l'on oublie assez hypocritement de se poser la question du passage. Et cependant, il faut bien un jour ou l'autre se résoudre à passer pour de bon, c'est à dire à traverser sans sauter. Aussi Duchamp était tout à fait conscient de ce qu'il faisait lorsqu'il proposa un jour cette définition de l'inframince
"J'ai choisi exprès le mot mince qui est un mot humain et affectif  et non une mesure précise de laboratoire. Le bruit ou la musique faits par un pantalon de velours côtelé comme celui ci quand on le fait bouger est lié au concept d'inframince. Le creux dans le papier entre le recto et le verso d'une fine feuille... A étudier !...C'est une catégorie dont je me suis beaucoup occupé pendant ces dix dernières années. Je pense qu'au travers de l'inframince, il est possible d'aller de la seconde à la troisième dimension"

On voit les précautions épistémologiques dont s'entoure Duchamp pour se lancer dans l'aventure. Ce n'est pas tant qu'il récuse "le laboratoire", mais c'est plus simplement qu'il préfère - par honnêteté intellectuelle en somme - s'en passer.

On peut sourire peut-être des chemins qu'emprunte Duchamp pour se risquer pour ainsi dire dans les dessous de l'épaisseur, mais il reste que la question qu'il pose, dont je ne sache pas que quiconque l'ait exprimée si fortement avant lui n'est pas dénuée de sens.

Benoît Mandelbrot nous a montré que des concepts de dimensions de nature fractionnaires ou même irrationnelles n'avaient rien d'inconvenant d'un point de vue mathématique (autrement dit, par exemple, que des objets géométriques relativement usuels pouvaient validement être considérés comme étant de dimension 1/2 ou ou pi... re.). Aussi ne serait-il peut-être pas stupide de réhabiliter l'idée d'inframince sur laquelle s'interrogeait si fort Duchamp et de rêver qu'il soit possible de construire une suite graduée de fractales de dimensions croissantes par laquelle on pourrait passer pour ainsi dire "en douceur" d'un monde bidimensionnel à un monde tridimensionnel.

D'ailleurs qui sait vraiment ce qui se trame dans l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarettes ? 

 

 
     
 

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