La morale a la vue courte

De ce large éventail de conduites que nous a légué l'évolution biologique résulte aussi notre capacité d'y choisir celle qui, dans des circonstances données, sera l'une de celles qui conviennent.
Autrement dit, de là nous vient notre liberté.

Si nous étions parfaits et cohérents, si nous n'étions aptes qu'à un seul type de conduites, déterminé donc, nous ne serions pas libres. Il n'y a de liberté que celle que nous recevons du dieu Hasard – le seul, le vrai – comme disait Louis Scutenaire.

Et malgré l'emploi tout à fait abusif qui a été fait ci-dessus de la terminologie « répertoire de conduites » il ne faudrait pas se représenter les choses sous la forme d'une simple sélection de produits tout prêts sur l'étagère d'un hypermarché.

Dans la vision qui vient d'être esquissée, la morale au sens habituel avec ses réponses toutes faites, ses obligations, ses recettes , ses mises en scène, ses fictions et ses lois paraît soudain un peu infirme, un peu gourde – au sens où ses doigts que l'on a si longtemps pu croire subtils paraissent tout à coup manquer si visiblement de tact.

La pauvreté, pour ne pas dire la trop fréquente absence, de ses calculs surtout semblent des traits presque inquiétants de primitivisme et ses paradoxes eux-mêmes en viennent à paraître triviaux au regard de la subtilité, de la richesse, de la complexité des calculs et des risques et pour tout dire de la créativité permanente et de l'invention de chaque instant d'une morale véritablement vivante telle qu'elle se voit à l'oeuvre dans toute sa richesse au coeur des hardis bricolages de l'Evolution.

Et aussi, au lieu de cette mise en scène répétitive de l'antienne kantienne ou l'individu vient trébucher et s'opposer à l'autre ou au collectif, une morale vivante sait qu'elle doit jouer à la fois et simultanément au niveau des individus et des populations.

Une morale vivante est tout à fait avertie que les hommes sont des singes, des monstres d'imitation et de mimétisme, et qu'à ce titre, ils ont un besoin maladif de réciprocité et d'égalité et donc aussi de tout le contraire.
Mais elle n'oublie pas que la vie perdure essentiellement par sa diversité et que par conséquent, la tolérance n'est pas simplement une affaire d'humanité, ni une affaire de réciprocité mais une exigence absolue quant à l'existence même du vivant dans la durée.

L'économie, qui cherche à tout rendre semblable, voudrait se faire passer pour la science des choix rationnels. Cette prétention n'est peut être pas totalement infondée pourvu qu'on ajoute en assez gros caractères « à court terme ». Ce qui affublerait l'économie selon ce qu'on en a dit plus haut – mais pas plus – de l'air un peu Satan qui lui sied tant, au sens où, justement, l'économie dont la vue est fort basse, ne s'attend pas à grand'chose et anticipe généralement assez mal.

Que pourrait-être une science des choix rationnels à moyen terme ou long terme biologiques, soit cent mille ou 1 million d'années ? Est-ce que cela ressemblerait encore en quelque manière à ce que nous appelons économie, ou bien à ce que nous appelons écologie, même ? C'est très douteux.

A quoi donc pourrait ressembler une morale vivante à la hauteur de ce que nous avons désormais appris de la Vie ? A quoi ressemblerait un calcul humain du durable ?

Certainement pas en tous cas aux morales simplistes des religions que nous connaissons.


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La morale a la vue courte (3)- Pierre Petiot - Mai 2008

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